Les trois degrés : Un outil diagnostic précieux

Cet article s'inspire de l'article de Bill Cornell "Opening to the vitality of unconscious experience" (s'ouvrir à la vitalité de l'expérience inconsciente) dans lequel ce dernier nous invite à repenser les trois degrés de jeux psychologiques tels qu'Eric Berne les avait conceptualisés, pour les repenser en terme de diagnostic.

Lorsque la thérapie échoue, certains thérapeutes mettent en avant les résistances et les mécanismes de défense du patient. Bill Cornell, comme beaucoup d’entre nous, avait été formé à cet idée rassurante que le thérapeute est celui qui sait, analyse et interprète  les difficultés du patient, pour ensuite les partager avec lui, pour l’aider à comprendre et, parfois, à changer. Cela peut fonctionner avec certains. Pas avec tous. Bill Cornell explique combien ses interventions avaient parfois plus pour but de soulager ses propres anxiétés et son besoin de faire, vestiges d’un passé personnel  encore mal compris. La vitalité de certains patients est si enfouie qu’il est important de savoir à quel niveau le thérapeute doit travailler. C’est l’objet de cet article.

Les trois degrés : un outil diagnostic

Les mécanismes de défense interpersonnels et intrapsychiques de certains patients sont «_raisonnablement disponibles à une pensée consciente et à un changement possible grâce à des interventions et des compréhensions cognitives_». Autrement dit  nous sommes là dans ce qui se rapproche des approches cognitivo-comportementales, où les interprétations et les explications pourront suffire pour amener à des prises de conscience. Ces clients sont pris dans un scénario de premier degré. Eric Berne parlait de jeu psychologique de premier degré, dont la fonction première était sociale, c’est à dire de rendre les relations plus prévisibles. Bill Cornell a étendu ce concept au delà des jeux, au scénario. En langage AT, “le patient a un état du moi Adulte raisonnablement solide et opérationnel, le thérapeute peut s’adresser à lui en s’adressant en priorité à sa pensée logique et consciente”. Le paperboard et ses schémas aux trois ronds  (états du moi) et au triangle (de Karpman), entre autres, peut alors être pertinent.

Les jeux et scénarios de deuxième degré ont un but défensif qui opère en dehors de tout contrôle et pensée consciente. La fonction  est davantage psychologique/intrapsychique que  relationnelle. C’est moins le patient en relation avec l’autre que le patient en relation avec lui même et ses propres conflits internes.  Ces patients sont moins sensibles à des interventions uniquement cognitives : en langage AT, leur état du moi Adulte est plus contaminé par l’état du moi Enfant ou Parent, voire les deux,  qu’au premier degré. On pourrait dire que les problématiques sont plus anciennes, et ont une part émotionnelle plus envahissante même si la pensée logique est encore atteignable. Mais la pensée rationnelle n’est plus suffisante. En tant que thérapeute nous allons alors tenter de donner une voix à ces émotions, ou,  comme l’AT le dirait, à l’Enfant du client. Ce sont des émotions que la personne a souvent du mal à s’autoriser voire à ressentir car elles peuvent être masquées par d’autres émotions plus familières mais en décalage avec la situation. Par exemple, se sentir triste quand on est victime d’injustice, peut être la marque d’une difficulté à ressentir et/ou exprimer une colère. On comprend alors que donner une voix à ces ressentis ne passe pas que par le paperboard.

Enfin le troisième degré de jeux et de scénario : Berne les situait au niveau des tissus, c’est à dire du corps plutôt que du mental. C’est le domaine  de la mémoire implicite et procédurale, inconsciente, et des problématiques archaïques d’attachement à la mère ou aux figures parentales précoces. Au niveau du troisième degré, vivre l’expérience avec nos patients précède et informe ce qui sera ensuite analysé et parlé. C’est surtout le comportement du patient, et ce qu’il nous fait vivre en séance qui va nous aider à savoir à quel niveau travailler. Comment le  thérapeute se laisse vivre son contre-transfert (ses éprouvés) et le comprend comme une communication inconsciente entre le patient et lui. Une communication qui passe par un corps à corps pour ainsi dire. Le paperboard n’est plus d’aucune utilité. L’explication rationnelle est rejetée ou ignorée.

Diagnostic de troisième degré : un thérapeute utile est un thérapeute utilisé

Ouvrir un espace thérapeutique “afin d’être disponible pour être utilisé par mes clients plutôt que leur être utile”, tel est une autre façon d’encourager la vitalité du patient.

Winnicott a étudié la capacité d’agressivité (saine) chez l’enfant et “sa motilité à travers laquelle l’environnement est constamment découvert et redécouvert». Si l’environnement empiète trop sur la liberté de l’enfant de faire ses propres expériences, alors _«la personne va apprendre à exister en n’étant pas trouvée» (Winnicott)_  et présenter au monde une coquille pour préserver le noyau. C’est alors que «l’environnement thérapeutique devra être utilisé, testé et parfois attaqué, pour pouvoir être considéré comme fiable»  par le patient. Le thérapeute est utilisé comme un objet pour le développement intrapsychique du patient, un objet «présent et intéressé mais non intrusif et peu exigeant, (…) considéré comme fiable pour pouvoir aller petit à petit confronter le problème». Ce n’est pas le contenu de ce que le client apporte qui nous informe du problème mais la façon dont ce contenu nous est adressé. C’est par sa façon d’être dans sa relation avec le thérapeute que le client nous informe de son expérience inconsciente. Il n’a pas  d’autres moyens de la communiquer que par son corps et ses actes car les mots et la pensée pour le dire ne sont pas accessibles. Nous sommes là dans des scénarios organisés à un troisième degré.

Pour résumer, nous devons être attentifs à quel niveau de scénario intervenir, en sachant que les trois degrés évoqués sont souvent mélangés. Mais une thérapie où l’ennui semble régner, ou qui semble tourner en rond par exemple, peut indiquer que le travail ne se fait pas au bon niveau.

William (=Bill) F.  Cornell est un psychothérapeute américain, qui centre sa pratique et ses écrits sur les origines archaïques des difficultés amenées par les patients. Les citations de Bill Cornell sont indiquées entre guillemets dans le corps de l’article (sauf indication contraire). Leur traduction est mienne.

“Opening to the vitality of unconscious experience” a été publié dans Transactional Analysis in Contemporary Psychotherapy, recueil de textes dirigé par Richard Erskine. Londres : Karnac, 2016, pp. 79-98